Guide pratique : organiser un Parlement humain

Ce guide pratique vous explique un outil: les Parlements humains du numérique. Comment ouvrir des espaces de discussions qui incluent les personnes les plus vulnérables face au numérique ? Comment éfléchir ensemble aux limites à lui donner au niveau local ?

Les parlements de rue existants

Il existe autant de formes de Parlements humains possibles qu'il y a d'humains. Voici quelques exemples :

Parlement humain de rue place Saint-Jean

Ce Parlement de rue s'est déroulé le 10 octobre 2023 et a été organisé par les Habitant·es des images. Il s'est tenu sur la place Saint-Jean à côté du « vrai » Parlement francophone bruxellois lors de la manifestation contre l'Ordonnance Bruxelles Numérique coordonnée par Lire et Écrire. Le Comité humain invite les parlementaires à rejoindre les citoyen·nes sur la place et à écouter leurs lois et leurs vécus.

Parlement de rue place Saint Jean

Parlement humain de la Louvière

Des habitant·es se rassemblent à La Louvière, avec l'ARC asbl. Le Comité de La Louvière se réunit tous les deux mois pour discuter de leur vécu du numérique. Ils et elles ont créé un jeu de rôle et ont discuté de lois par rapport à la réalité de leur commune. Ils et elles ont décidé d'interpeller le Conseil communal de La Louvière pour demander de retirer une borne électronique et la remplacer par un humain avec un poste stable.

Parlement humain à la Haute École Sociale HELMO à Liège

Un Parlement humain a été organisé lors d'une mise au vert à la Haute École Sociale HELMO à Liège. Les étudiant·es ont discuté des limites à mettre ou pas au numérique, à partir de cas pratiques qu'ils et elles ont rencontrés dans leur stage. Ce Parlement est un moment de réflexion « one shot » pour ces futur·es assistant·es sociaux.

Parlement humain d'Anderlecht

Parlement humain d'Anderlecht

MAKS vzw initie un Comité humain à Anderlecht. L'idée est de se rencontrer quelques fois par année autour de repas et d'échanger à partir des vécus des habitant·es. Les associations sont invitées à participer avec leur public. Les professionnel·les parlent ici en tant qu'individus et partagent leurs expériences sensibles au même titre que les habitant·es. Cela pourra mener à des interpellations communales, à la création d'un organe de concertation avec la commune...

Qu'est-ce qu'un Parlement humain du numérique ?

Défendre l'humain face au numérique dans nos vies lors d'une assemblée : on écrit des lois pour que le numérique s'adapte à l'humain et non l'inverse.

  • Un moment pour échanger et écouter : partager nos expériences, nos souffrances et nous entraider.
  • Un espace où on prend la parole à partir de nos vécus et non à partir d'une théorie ou d'une idée. Un espace où tout le monde est expert·e et où un monde plus juste peut exister.
  • Un outil d'animation, pour construire des lois, des règles collectives ou des revendications. Cela peut prendre du temps et nécessiter plusieurs rencontres : l’efficacité n’est pas une priorité !

Pourquoi créer des lois ensemble ?

  • Pour transformer nos souffrances individuelles en revendications collectives. C’est se rendre compte qu’on n’est pas seul·e et pas fou : le monde pourrait être différent !

  • Pour ne pas laisser les expert·es décider pour nous et démocratiser le débat autour du numérique.

  • Parce que le cadre légal et institutionnel évolue mal ou trop lentement face à l’actualité numérique. Faire des lois citoyennes, c’est prendre les devants sans dépendre des politiques. C’est soutenir le pouvoir d’agir de chacun·e, avec la force et la légitimité du collectif.

    • Par exemple : avoir la force de dire à la commune que supprimer les guichets n’est pas démocratique, avoir la force en tant que médecin de donner la possibilité de prendre rendez-vous sur place, avoir la force en tant que parent de dire à l’école que ce n’est pas normal d’imposer l’utilisation du téléphone à des adolescent·es qui ont des problèmes d’addiction…
  • Pour faire de vos lois… ce que vous voulez. Utilisez-les à votre façon : sérieusement, politiquement, administrativement, poétiquement, théâtralement !

    • Par exemple, elles peuvent être pensées comme des réglementations à revendiquer à la commune, au Fédéral… ou encore, comme des articles d’une charte interne à une école ou une association, comme des slogans à afficher en rue pour dénoncer, comme des mots qu’on partage à ses proches et qui nous donnent du courage !

Qui peut participer à un Parlement humain du numérique ?

  • Tout le monde ! Nous ne cherchons pas à faire une assemblée avec des « quotas » ou des objectifs scientifiques/politiques de représentativité. Parce que justement le numérique est fait de statistique et de classification. Ici tout le monde doit pouvoir venir s'exprimer !

  • Les plus vulnérables face au numérique sont une priorité. Même si nous ne faisons pas de quota, il est essentiel d'aller chercher ces personnes, car la plupart du temps elles ne viendront pas d'elles-mêmes. Veillez donc à adapter la communication (porte à porte, téléphone, relais avec des associations...) pour inclure les personnes plus isolées.Et pour que leur parole et leur place soient respectées lors de l'assemblée, voici deux points d’attention.N’hésitez pas à ajouter les vôtres!

    • Partir des témoignages et donner à tout le monde le statut d’expert·e de son vécu. C’est une base essentielle pour mettre toutes les paroles sur un même pied d’égalité. C’est aussi inviter les « professionnel·les » et les organisateur·ices à parler au «je», une place qu’ils et elles ont parfois moins l’habitude d’occuper.
    • Les aspects manuels, visuels et conviviaux sont importants,tout ne doit pas être centré sur la parole. Nous avons par exemple mis l’accent dans nos Parlements sur la création collective de décors en carton, le jeu, l’action, la mise en scène.
  • Les politiques, les représentant·es d’institution ou les personnes qui ont un intérêt économique avec le numérique n’y ont pas leur place. Sauf s’ils ou elles sont présent·es en tant qu’individus et parlent de leur vécu intime.

Comment formuler une loi ?

Formuler ensemble une loi n'est pas toujours facile, car cela donne l'impression de devoir faire quelque chose de très formel. Nous proposons au contraire d'oser l'informel, le subjectif et le non-exhaustif dans vos lois. Quelques trucs et conseils :

  • Ouvrez la discussion à partir d'une première proposition de loi, qui synthétise les témoignages récoltés. Cela n'est pas obligatoire, mais cela facilite l'entrée dans le débat et évite d'être « bloqué·es » sur les premiers mots. Cette loi est dans l'idéal courte, voir incomplète/provocante pour susciter le débat.

  • Formuler des lois qui défendent les individus et responsabilisent les organisations privées ou publiques.

    • Par exemple, nous avons voté une loi pour limiter l'utilisation des écrans chez les moins de 3 ans. Nous avons discuté d'interdire le numérique dans l'espace public – pour montrer l'exemple – mais pas dans les maisons pour ne pas punir ou culpabiliser des parents déjà dépassés (art.5.1).
  • Inclure «parce que...» dans la règle.

    • Petit truc de juriste : dans la loi, formulez la «règle» et ajoutez le pourquoi de la règle. Le «parce que» peut faire référence aux témoignages que vous aurez récoltés. Si par la suite on souhaite retravailler «la règle», il est important de pouvoir revenir à la raison d'être de la loi. Par exemple, dans l'article 5 nous avions écrit : «L'utilisation des outils numériques peut être interdite ou contrainte dans certains lieux et à certaines tranches d'âge». Et nous avons ajouté : «pour protéger la santé et l'intégrité physique».
  • Penser des lois en évolution, à l’image de nos vécus et des avancées technologiques.

    • Discuter des lois c'est d'abord expérimenter et ouvrir des espaces de réflexion au niveau local. Les lois ne peuvent pas être parfaites du premier coup et c’est très bien comme ça ! Par exemple, depuis la publication du Code du numérique, ChatGPT et l'Intelligence artificielle sont devenus des sujets centraux. Plusieurs lois du Code vont certainement évoluer suite à ces actualités.

Les grandes étapes à suivre

Récolter des témoignages

Partir des vécus est le coeur d'un Parlement humain du numérique ! Cette phase est presque plus importante que la création des lois. Elle peut se faire au début d'un Parlement lors d'un tour de table. Elle peut aussi se faire pendant plusieurs semaines ou mois avant le Parlement (comme nous l'avons fait pour le Code), afin de creuser les thématiques et aller chercher des publics particuliers.

1. Choisir un territoire et une thématique

C'est l'échelle à laquelle allez. La thématique orientera la récolte des témoignages.

  • Vous souhaitez interpeller votre commune comme le Comité humain de La Louvière ou comme celui d'Anderlecht ?
  • Vous souhaitez agir à l'échelle d'une école ? De votre travail ? De votre quartier ?

2. Inviter des personnes à témoigner

Il y a plein de possibilités. Choisissez ou combinez ce qui semble le plus adapté à votre territoire, aussi en fonction du temps que vous avez à disposition. Soyez créatif·ve !

  • Organisez une permanence dans une association, à l'école, au travail…
  • Préparez un repas festif
  • Installez une table dans l'espace public et faites des interviews
  • Lancez un appel à témoignages en communiquant par affiches, petites annonces, flyers, mails…
  • Organisez des entretiens individuels ou en groupe

3. Prendre note des témoignages

Inviter les gens à partager une expérience vécue personnellement ou par un·e proche. Une expérience qui pose la question : est-ce que ce qu'il m'arrive est normal ?

Outils

  • Le plus simple est de prendre et un stylo pour noter le vécu de la personne. Restez au plus proche du langage oral pour faire sentir les personnalités de chacun·es ! Si besoin, il y a des modèles à imprimer dans les ressources du site du Code du numérique.
  • C'est possible d'utiliser un enregistreur, mais cela demandera du temps supplémentaire pour ré-écrire et cela peut être intimidant pour la personne qui témoigne.

Méthode

  • Préparez au préalable des questions et pensez à recadrer la discussion autour des expériences vécues par la personne elle-même, un·e proche...
  • Expliquez où seront diffusés les témoignages

Organiser un Parlement humain de 2 heures

Avant de commencer : il n'est pas nécessaire de se référer aux lois du Code du numérique, mais cela simplifie beaucoup l'animation, surtout pour les premières fois. Nous présentons ici des liens vers le Code, mais ils sont facultatifs. Pour info, les lois et témoignages contenus dans le Code du numérique sont imprimables ici

  1. Choisissez une question ou formulez la vôtre à partir d'une thématique
  • Retrouvez les questions formulées à l'intérieur de la couverture du Code du numérique ou ici

    • Ex : Comment protéger les citoyen·nes des programmes et applications nocives pour leur santé ?
  • Vous pouvez formuler la vôtre à partir d'une thématique qui vous intéresse.

    • Ex : Est-ce qu'il faut poser des limites à l'Intelligence artificielle ?
  1. Lisez là à haute voix.

  2. Lisez ensuite des témoignages choisis, extraits du Code et associés à la question. Ou ceux que vous avez récoltés. C'est important de donner des exemples pour libérer une parole plus intime.

  3. « Est-ce que vous aussi ça vous évoque une situation concrète qui vous pose question ? » Faites un tour de table où chacun·e peut partager un vécu, une expérience ou celle d'une connaissance.

  4. Faites une petite pause ☺

  5. Lisez la proposition de loi formulée dans le Code ou formulez (lors de la pause) votre propre proposition à partir des témoignages entendus. (voir «Comment formuler une loi...»)

  6. Débattez-en ensemble. Veillez à ce que chacun·e prenne la parole.

  • Pour cela, nous avons créé un jeu de cartes avec des rôles pour distribuer la parole. Vous pouvez le télécharger sur le site internet du Code du numérique.
  1. Clôturez la séance en votant. Qui est pour ? Qui est contre ?

Diffuser les lois

Où diffuser les lois ? Comment faire pour interpeller après avoir organisé un parlement ?

C'est important de mettre en valeur vos lois si vous en avez l'occasion. En effet, aujourd’hui, comme le dit la juriste Élise Degrave, la législation est largement en retard sur les technologies. Plus il y aura d’initiatives visibles et diverses qui questionnent le numérique, plus les décideur·ices devront prendre ces avis en compte. Pas besoin de monter toute une manifestation, agissez à votre échelle !

Toutes les possibilités s'offrent à vous... En voici quelques-unes.

  • Interpeller la commune

    • C'est ce que veut faire le Comité humain de La Louvière pour revendiquer l'emploi d'un·e agent·e d'accueil à la commune. Le Règlement d'ordre intérieur du Conseil communal de la Ville permet aux habitant·es d'interpeller directement le Conseil lors de leurs séances.
    • En Région bruxelloise : L’interpellation doit être introduite par 20 personnes domiciliées dans la commune âgées de 16 ans minimum et être introduite auprès du Conseil communal, à l’attention du collège communal. En Wallonie, l'âge minimum est de 18 ans et il faut être inscrit au registre de la population depuis 6 mois minimum.
  • Se faire connaitre auprès des politiques ou décideur·ices d'organisations.

    • Se rendre visible est déjà beaucoup. Par exemple : envoyer des invitations, des mails, passer dans la presse... Cela leur faire savoir que les citoyen·nes se mobilisent et travaillent en profondeur sur le sujet. Cela montre une pression populaire et la possibilité d'un dialogue futur.
    • Et si vos lois étaient votées ? Un sondage peut par exemple inviter les politiques à se positionner sur les constats qui viennent du terrain.
  • Repenser les règles ou la charte d'une école, d'une organisation...

  • Placarder des affiches

    • Les affiches peuvent circuler de main en main, être diffusées dans des administrations, associations, institutions...
    • Cela peut être des outils qui rendent visibles les discriminations : formulaires à déposer dans les banques ou administrations, stickers à coller sur les organisations défaillantes, etc.
  • Créer des vidéos

    • Les vidéos sont des moyens de communication facilement accessibles, diffusables et ne nécessitent pas de savoir lire.

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(en cours de construction)


LICENCE

Les lois, témoignages, textes et images du Code du numérique sont partagés sous la licence Creative Commons, « Attribution » (BY) et « Partage dans les Mêmes Conditions » (SA). Vous pouvez les utiliser comme vous voulez, à condition de citer le Comité humain du numérique de Bruxelles et les Habitant·es des images asbl qui ont initié et coordonnent le projet. Et aussi de décrire les éventuelles transformations et de partager sous la même licence. Pour en savoir plus : un résumé et le texte complet de la licence. Dans le cas où vous utilisez des extraits ou captures d’écran de la vidéo avec des personnes reconnaissables, merci de nous en informer !