Témoignages

Annaëlle La numérisation déshumanise les gens, on ne connait plus vraiment l’autre. Il devient un dossier. Le fait de voir les gens comme des numéros de dossier cache la souffrance de la personne qui n’a plus la possibilité de s’exprimer. Nous avons besoin de contacts, déjà pour le bien-être mental de chacun. En rencontrant la personne, cette dernière pourra essayer d’exprimer ses besoins. Et nous, en tant que travailleurs sociaux, nous pourrons aussi tenter de comprendre, reformuler sa demande et ainsi trouver d’autres aides que nous pourrions lui apporter. Chose que l’on ne fera pas en recevant juste un mail (si la personne peut envoyer ce mail).

Alex Je suis cuisinier. On peut pas devenir tous des robots, j’y crois pas. Il y a des choses que les robots ne pourront jamais faire. Le chantier par exemple ou la cuisine c’est pas possible de nous remplacer. Et puis voilà, les robots jusqu’à présent font des petits trucs, pas l’essentiel. Aussi moi je pense qu’il y aura une fin à tout ça, on est en train de détruire la planète. Ça ne pourra pas continuer longtemps toute cette technologie.

Anaïs Avec le confinement, à mon travail, on a commencé à faire beaucoup de choses en visio, à numériser les dossiers… Il y a plein d’infos qui ne sont pas numérisées, car elles n’entrent pas dans les cases. La passation d’information est devenue très difficile. Notre équipe a explosé. J’ai quitté ce travail.

Amina Je demande toujours à ma fille de m’aider pour le numérique. Elle a 27 ans. Elle n’a pas toujours le temps. C’est l’Amérique ou le numérique ? Le numérique c’est comme un pays.

Fatma J’ai pas d’enfant, pas de mari. Il me faut toujours de l’aide pour le numérique. Je suis gênée de toujours demander. J’aimerai me présenter moi-même.

Cédric Avec l’assistante sociale ici au foyer, en 2 semaines de démarches j’ai rattrapé 6 mois de galère. On aurait besoin d’avoir accès à des mini-justiciers, des justiciers de poche pour nous aider à mieux être perçus et mieux être compris. Moi mes galères ont vraiment tourné autour de problèmes de communication. Pour des trucs formels, une histoire de rendez-vous, quelqu’un qui sonne et on lui ouvre pas, un avis… Ça s’est enchaîné. Bon moi j’ai rencontré des humains, ce n’était pas du numérique, mais ces humains ont pas pris la peine ou le temps d’essayer de me comprendre. Ils voulaient que je parle leur langue, mais moi je savais pas ce qu’ils voulaient. Je me suis retrouvé à la rue, avant 20 ans. Ici l’assistante sociale m’écoute, elle prend le temps et voilà les choses avancent vraiment. J’imagine pas ce que tout ça aurait été avec le numérique en plus. Ça aurait été encore pire. On dit qu’il faut créer de l’emploi. Mais les gens tout ce qu’ils ont besoin c’est des humains qui ont du temps ! Pourquoi on ne crée pas des centres pour aider les gens ? Quand on est dans la merde croyez-moi on est puissamment dans la merde. Je viens d’ici, je suis Belge depuis quatre générations et je suis tombé dans les mêmes merdes que ceux qui arrivent d’autres pays. Et moi j’ai les codes au moins. Ouais on pourrait bien inventer d’autres sortes de métiers qui seraient bien utiles.

Art. 8.1

Les compétences humaines doivent être protégées, afin de garantir la qualité des services. Le numérique ne peut pas remplacer l’expertise humaine.

  • Les temps de rencontre réelle et de qualité sont obligatoires pour avoir le droit d’exercer un service à la personne (pas de consultation médicale par téléphone ni de visioconférence généralisées). Dans la mesure du possible le suivi médical doit être mené par la même personne.

  • La communication en face-à-face est reconnue comme ayant une autre valeur que celle via le numérique. Le face-à-face est le fondement de la communication et le numérique est complémentaire. Elle permet un échange qualitatif complexe, comme l’adaptation du langage en fonction de l’interlocuteur·rice.

  • Pour le ou la travailleur·euse, le maintien du lien en présentiel (avec le public, le ou la client·e ou sur le terrain) est reconnu comme un droit, car cela permet de préserver le sens à son travail.

Commentaires

Olivier

Protéger la qualité des services oui. Mais je dirais aussi la transmission. C’est super important. En effet, avec le numérique ce ne sera pas le même niveau de qualité. Et surtout d’un seul coup toutes les compétences sont dans cet objet-là (il montre son téléphone). Je perds cet objet, je perds la compétence. Alors que si c’est dans un cerveau humain, il y a une tradition orale, tu peux la transmettre, ça peut se multiplier très rapidement. Sans besoin d’électricité, sans besoin de grand-chose en fait. Les politiques doivent dès maintenant lancer la diversification des professions (numérique/non-numérique) pour conserver les savoir-faire. C’est du bon sens paysan. On ne peut pas prendre le risque de perdre les compétences. Car plus on entre dans le numérique, plus on va les perdre. Le numérique est une usine à perdre les compétences. On centralise le savoir chez quelques personnes. Qui tire du profit de cette performance ? Les ultra-riches bien sûr. Le numérique n’est pas du tout horizontal. Ça peut parfois en donner l’impression, mais il y a quelques gros qui dominent : Elon Musk, etc.

Didier

Voici une proposition d’ajout d’article : Partage des connaissances : Le numérique doit servir au partage, sans discrimination et sans but lucratif, des connaissances et des données scientifiques et médicales communes pour l’amélioration de la résilience et de la longévité en bonne santé de tous les citoyen·nes.

La Reine du Parlement humain

Moi j’ai un problème avec « la communication humaine et nécessaire ». Je dirais que la communication humaine est le fondement de base, et le numérique vient en complément. Et pas l’inverse. Il faut renverser vraiment la proposition. Parce que ce qui m’embête avec l’histoire d’opposer le face-à-face et le numérique (un face-à-face qui serait plus fin, plus intéressant) c’est que je pense que certains nous préparent des outils numériques où on aura l’impression d’être en face-à-face, mais ce ne sera pas vrai. Les entreprises vont améliorer les outils en disant « oui oui ces problèmes-là on les a réglés ». Mais ontologiquement et philosophiquement presque, est-ce qu’on est fait pour ça ? Donc « les compétences humaines doivent être protégées » point. On n’a pas à argumenter.